Le refus de communiquer le code de déverrouillage de son téléphone peut constituer un délit

Communication du code de déverrouillage d'un smartphone

L’assemblée plénière de la Cour de cassation a récemment confirmé la jurisprudence de la Chambre criminelle relative au refus de communication du code de déverrouillage de son téléphone aux enquêteurs, dans un arrêt du 7 novembre 2022 (Cass. Plen., 7 nov. 2022, n° 21-83.146). Dans cette affaire, une personne placée en garde à vue pour des infractions relatives aux stupéfiants avait refusé de communiquer aux enquêteurs les mots de passe des smartphones qu’il portait sur lui lors de son interpellation.

Il a été poursuivi, outre pour les infractions à la législation sur les stupéfiants, pour refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie en s’opposant à la communication du code. Le Tribunal correctionnel l’a relaxé de ce chef. La Cour d’appel saisie a confirmé cette relaxe, mais la Cour de cassation a cassé cet arrêt sur pourvoi du Procureur général.

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, par arrêt du 2 février 2022, avait ordonné le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

La réponse apportée par l’assemblée plénière

Au visa des articles 434-15-2 du Code pénal et 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, la Cour de cassation considère que le code de déverrouillage d’un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement au sens de la loi, si ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie.

Il en résulte que si un smartphone est équipé d’un moyen de cryptologie, le refus de communication du code de déverrouillage est susceptible d’être poursuivi et d’entraîner une condamnation pénale. Il est préférable, en cas de placement en garde à vue, de faire appel à un avocat pénaliste qui pourra vous assister et préparer dès le stade de l’enquête une stratégie de défense adaptée.

Cass. Plen., 7 nov. 2022, n° 21-83.146

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 7 NOVEMBRE 2022

Le procureur général près la cour d’appel de Douai, domicilié en son parquet général, [Adresse 2], a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 20 avril 2021 par la cour d’appel de Douai (6e chambre des appels correctionnels), dans le litige l’opposant à M. [C] [O], détenu à la maison d’arrêt de [Localité 3], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

Par arrêt du 2 février 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ordonné le renvoi de l’examen du pourvoi devant l’assemblée plénière.

Le demandeur invoque, devant l’assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt.

Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par le procureur général près la cour d’appel de Douai.

Le rapport écrit de M. Barincou, conseiller, et l’avis écrit de M. Valat, avocat général, ont été mis à la disposition des parties.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, assisté de M. Dureux, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, l’avis de M. Valat, après débats en l’audience publique du 14 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président de la première chambre civile, faisant fonction de premier président, MM. Pireyre, Sommer, Mme Teiller, M. Vigneau, présidents, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, doyens de chambre faisant fonction de présidents, M. Barincou, conseiller rapporteur, MM. Huglo, Maunand, Mmes Darbois, Martinel, doyens de chambre, Mmes Ingall-Montagnier, Auroy, conseillers faisant fonction de doyens de chambre, Mmes Planchon, Poinseaux, M. Boyer, Mmes Chauve, Ducloz, conseillers, M. Valat, avocat général, Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, et après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [O], placé en garde à vue à l’occasion d’une enquête pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a refusé de communiquer aux enquêteurs les mots de passe des deux smartphones découverts en sa possession lors de son interpellation.

3. Il a été poursuivi pour détention et offre ou cession de cannabis ainsi que pour refus de remettre la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, en s’opposant à la communication du code de déverrouillage d’un téléphone susceptible d’avoir été utilisé pour les besoins d’un trafic de stupéfiants.

4. Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal correctionnel l’a condamné pour infractions à la législation sur les stupéfiants, mais relaxé du délit de refus de remettre ou de mettre en oeuvre la convention secrète d’un moyen de cryptologie.

5. Par arrêt du 11 juillet 2019, la cour d’appel de Douai a confirmé cette relaxe.

6. La Cour de cassation (Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 19-85.984, publié) a cassé et annulé cet arrêt.

7. Par arrêt du 20 avril 2021, la cour d’appel de Douai, saisie sur renvoi, a confirmé la décision de relaxe. Le procureur général près la cour d’appel de Douai s’est pourvu en cassation.

8. Par arrêt du 2 février 2022, la chambre criminelle a ordonné le renvoi de l’affaire devant l’assemblée plénière de la Cour de cassation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le procureur général près la cour d’appel de Douai fait grief à l’arrêt de relaxer le prévenu du chef de refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie, faits prévus et réprimés à l’article 434-15-2 du code pénal, alors « qu’il ressort des dispositions de l’article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et des articles 132-79 du code pénal et R. 871-3 du code de la sécurité intérieure que l’on entend comme « conventions permettant le déchiffrement des données transformées au moyen des prestations de cryptologie » les « clés cryptographiques ainsi que tout moyen logiciel ou de toute information permettant la mise au clair de ces données » ; qu’en affirmant, de manière générale, que le code de déverrouillage d’un smartphone n’est pas une convention secrète de chiffrement sans effectuer l’analyse des caractéristiques techniques du téléphone concerné I-phone 4, pourtant indispensable pour fonder sa décision, la cour d’appel a insuffisamment motivé sa décision. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 434-15-2 du code pénal et 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique :

10. Selon le premier de ces textes, est punissable toute personne qui, ayant connaissance de la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit, refuse de la remettre aux autorités judiciaires ou de la mettre en oeuvre, sur les réquisitions de ces autorités délivrées en application des titres II et III du livre Ier du code de procédure pénale.

11. Selon le second, un moyen de cryptologie s’entend de tout matériel ou logiciel conçu ou modifié pour transformer des données, qu’il s’agisse d’informations ou de signaux, à l’aide de conventions secrètes ou pour réaliser l’opération inverse avec ou sans convention secrète. Les moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sécurité du stockage ou de la transmission de données, en permettant d’assurer leur confidentialité, leur authentification ou le contrôle de leur intégrité.

12. Pour l’application du premier de ces textes et au sens du second, une convention de déchiffrement s’entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d’une donnée transformée par un moyen de cryptologie, que ce soit à l’occasion de son stockage ou de sa transmission. Il en résulte que le code de déverrouillage d’un téléphone mobile peut constituer une clé de déchiffrement si ce téléphone est équipé d’un moyen de cryptologie.

13. Dès lors, il incombe au juge de rechercher si le téléphone en cause est équipé d’un tel moyen et si son code de déverouillage permet de mettre au clair tout ou partie des données cryptées qu’il contient ou auxquelles il donne accès.

14. Pour confirmer la relaxe, l’arrêt retient que la clé de déverrouillage de l’écran d’accueil d’un smartphone n’est pas une convention secrète de déchiffrement, car elle n’intervient pas à l’occasion de l’émission d’un message et ne vise pas à rendre incompréhensibles ou compréhensibles des données, au sens de l’article 29 de la loi du 21 juin 2004, mais tend seulement à permettre d’accéder aux données et aux applications d’un téléphone, lesquelles peuvent être ou non cryptées.

15. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 20 avril 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le sept novembre deux mille vingt-deux.

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