L’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, essentiel en droit pénal, emporte notamment la garantie pour la défense d’avoir la parole en dernier dans le cadre d’un procès pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation l’a récemment rappelé dans le cadre d’un arrêt rendu le 12 octobre 2022 (Cass. Crim., 12 oct. 2022, n° 21-86.138).
Rappel des faits de l’espèce
L’arrêt rendu par la Chambre criminelle s’inscrit suite à des faits d’usage de fausses plaques d’immatriculation, association de malfaiteurs, complicité de transport, détention et importation de stupéfiants, complicité de détention et de transport de marchandises dangereuses pour la santé, complicité d’importation en contrebande…
Dans le cadre de cette procédure, l’un des prévenus a formé un pourvoi en cassation à l’encontre d’un arrêt rendu par la Chambre de l’instruction. Une exception de nullité avait en effet été présentée en ce que le prévenu n’avait pas eu la parole en dernier. Or, l’arrêt rendu énonçait dans la partie relative aux débats, qu’à l’audience, le substitut général a été entendu pour ses réquisitions orales, à la suite de quoi les débats ont été terminés et l’affaire mise en délibéré. L’avocat de la défense n’a donc pas eu la parole après les réquisitions du Ministère public.
Réponse de la Cour : La défense doit avoir la parole en dernier
La Cour decassation, au visa des articles 6 de la CEDH et 199 du Code de procédure pénale, indique que les mentions relatives aux débats inscrites sur l’arrêt de la Chambre de l’instruction « ne permettent pas à la Cour de cassation de s’assurer que le principe ci-dessus rappelé
a été respecté« .
Il résulte de cet arrêt, lequel relève du bon sens, que non seulement la défense doit avoir la parole en dernier devant les juridictions pénales, mais la décision retraçant le déroulement des débats doit également le mentionner pour assurer le contrôle de la Cour de cassation sur le respect de ce point procédural.
En cas de convocation devant une juridiction pénale, il est dans tous les cas conseillé d’être assisté par un avocat pénaliste afin de pouvoir exercer utilement l’ensemble de ses droits.
Cass. Crim., 12 oct. 2022, n° 21-86.138
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 OCTOBRE 2022
MM. [V] [Z], [N] [K], [A] [M], [J] [H] et [N] [B] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon, en date du 22 mai 2019, qui, dans l’information suivie contre eux des chefs, notamment, d’infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a prononcé sur leurs requêtes en annulation d’actes de la procédure.
MM. [A] [M], [J] [H], [X] [F] et [N] [B] ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 16 septembre 2021, qui, notamment, pour infractions à la législation sur les stupéfiants, a condamné, le premier, à neuf ans d’emprisonnement et 20 000 euros d’amende, le deuxième, à un an d’emprisonnement, le troisième, à six ans d’emprisonnement, le quatrième, à quatre ans d’emprisonnement, et a ordonné une mesure de confiscation.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, pour MM. [A] [M] et [X] [F], et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Turbeaux, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [A] [M], les observations de Me Laurent Goldman, avocat de M. [X] [F], et les conclusions de M. Bougy, avocat général, après débats en l’audience publique du 14 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turbeaux, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Compte tenu de renseignements convergents, notamment une demande d’entraide émanant des autorités néerlandaises, une enquête a été ordonnée à propos de faits d’importation de cannabis en provenance d’Espagne. Une information judiciaire a été ouverte le 7 février 2018.
3. C’est ainsi que cinq voyages en Espagne ont été relevés, le premier étant effectué du 10 au 13 mars 2018. Un voyage en Belgique a été identifié.
4. Des interpellations ont pu être réalisées au retour du dernier voyage, le 10 juillet 2018, 663,4 kg de cannabis ont été saisis dans un des véhicules interceptés.
5. Entre autres personnes mises en cause, MM. [V] [Z], [N] [K], [A] [M], [J] [H], [X] [F] et [N] [B] ont été mis en examen.
6. Par requêtes en date du 14 janvier 2019, émanant notamment de MM. [Z], [K], [M], [H], [F] et [B], la chambre de l’instruction a été saisie de demandes d’annulation d’actes de la procédure.
7. La chambre de l’instruction les a rejetées par arrêt du 22 mai 2019.
8. MM. [Z], [K], [M], [H] et [B] ont formé des pourvois contre cette décision.
9. MM. [M] et [H] ont demandé que leurs pourvois soient déclarés immédiatement recevables.
10. Par ordonnance du 16 septembre 2019, le président de la chambre criminelle a rejeté ces requêtes et a ordonné le retour de la procédure à l’égard des pourvois formés par MM. [Z], [K] et [B].
11. Saisi par une ordonnance de renvoi du 15 mai 2020, le tribunal correctionnel a condamné M. [M], pour recels, usage de fausses plaques d’immatriculation, association de malfaiteurs, complicité de transport, détention et importation de stupéfiants, complicité de détention et de transport de marchandises dangereuses pour la santé et complicité d’importation en contrebande, à neuf ans d’emprisonnement, 20 000 euros d’amende, a ordonné une mesure de confiscation et a décerné mandat d’arrêt.
12. M. [H] a été condamné, pour association de malfaiteurs et recel en récidive à un an d’emprisonnement et le tribunal a ordonné une mesure de confiscation.
13. M. [F] a été condamné, pour association de malfaiteurs en récidive, complicité de transport, de détention et d’importation de stupéfiants, en récidive, à sept ans d’emprisonnement. Le tribunal a ordonné une mesure de confiscation et a décerné mandat d’arrêt.
14. M. [B] a été condamné pour transport, détention, importation de stupéfiants, détention, transport et importation en contrebande de marchandises dangereuses pour la santé, à cinq ans d’emprisonnement. Le tribunal a ordonné une mesure de confiscation et a décerné mandat d’arrêt.
15. MM. [M], [H], [F] et [B] ont relevé appel de ce jugement. Le ministère public a formé des appels incidents.
Examen de la recevabilité des pourvois formés par MM. [K] et [Z] contre l’arrêt de la chambre de l’instruction
16. MM. [K] et [Z] n’ont pas formé de pourvoi contre l’arrêt rendu sur le fond ; il n’y a donc pas lieu de statuer sur leurs pourvois, devenus sans objet, formés contre l’arrêt de la chambre de l’instruction du 22 mai 2019, qui n’a pas mis fin à la procédure.
Déchéance des pourvois formés par MM. [H] et [B]
17. MM. [H] et [B] n’ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation ; ils seront déclarés déchus de leurs pourvois par application de l’article 567-2 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen présenté pour M. [M] contre l’arrêt de la chambre de l’instruction du 22 mai 2019
Enoncé du moyen
18. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité tirée de ce que le prévenu n’avait pas eu la parole en dernier, alors « que le prévenu ou son avocat doivent toujours avoir la parole les derniers ; qu’en l’espèce, l’arrêt énonce, dans la partie consacrée aux débats, qu’à l’audience s’étant déroulée en Chambre du conseil le 10 avril 2019, ont été entendus « Monsieur Jacques, substitut général, en ses réquisitions orales. Les débats étant terminés, la Chambre de l’instruction a mis l’affaire en délibéré », ce dont il résulte que l’avocat du prévenu n’a pas eu, sur le fond, la parole après les réquisitions du ministère public ; qu’en conséquence, la chambre de l’instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, 199 et 591 du Code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et 199 du code de procédure pénale :
19. Il se déduit de ces textes que, devant la chambre de l’instruction, la personne mise en examen ou son avocat doivent avoir la parole les derniers.
20. L’arrêt attaqué mentionne le rapport oral du président, puis fait état des plaidoiries de trois avocats, des réquisitions orales de l’avocat général, pour indiquer enfin que, les débats étant terminés, l’affaire a été mise en délibéré.
21. Ces mentions ne permettent pas à la Cour de cassation de s’assurer que le principe ci-dessus rappelé a été respecté.
22. La cassation est en conséquence encourue.
Sur le premier moyen présenté pour M. [F] contre l’arrêt de la cour d’appel du 16 septembre 2021
Enoncé du moyen
23. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il n’a pas fait état de la demande de renvoi formulée par l’un de ses conseils et n’y a pas répondu, alors « que la juridiction saisie par l’avocat d’un prévenu d’une demande de renvoi doit mentionner cette demande et y répondre, fût-ce pour l’écarter ; qu’en ne mentionnant ni la demande de renvoi adressée au président de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Dijon par Me Gas, avocat de M. [F], le 28 juin 2021, par télécopie émise sans incident, ni la décision prise en réponse à cette demande, la cour d’appel a méconnu l’article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
24. L’arrêt attaqué mentionne qu’à l’audience de la chambre des appels correctionnels, M. [F] a comparu, assisté d’un avocat, M. [S], qui a demandé le renvoi de l’affaire. L’arrêt ajoute que la cour, après débat sur cette question, a délibéré et décidé de ne pas renvoyer le jugement de l’affaire.
25. Il en résulte que cette décision de la juridiction répondait à l’ensemble des demandes dont la cour avait pu être saisie pour ce prévenu, tendant au renvoi de l’affaire le concernant.
26. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Sur le second moyen présenté pour M. [F] contre l’arrêt de la cour d’appel du 16 septembre 2021
Enoncé du moyen
27. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré M. [F] coupable, pour la période du 10 mars 2018 au 10 juillet 2018, des chefs de complicité de transport non autorisé de stupéfiants en récidive, complicité de détention non autorisée de stupéfiants en récidive et complicité d’importation non autorisée de stupéfiants–trafic en récidive, alors :
« 1°/ qu’il ne résulte de l’arrêt attaqué aucune constatation de ce que M. [F] aurait participé, d’une quelconque façon, aux convois identifiés entre le 21 mars et le 10 juillet 2018, de sorte qu’en le déclarant néanmoins coupable d’avoir loué et escorté des véhicules chargés de stupéfiants durant cette période, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu’il ne résulte de l’arrêt attaqué aucune constatation de ce que les véhicules ayant pris part aux convois identifiés entre les 10 et 20 mars 2018 auraient été chargés de stupéfiants, de sorte qu’en retenant néanmoins la culpabilité du prévenu, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 593 du code de procédure pénale et 121-7 du code pénal ;
3°/ qu’il ne résulte de l’arrêt attaqué aucune constatation de ce que M. [F] aurait été présent à bord des véhicules ayant pris part aux convois identifiés entre les 10 et 20 mars 2018, de sorte qu’en déclarant néanmoins le prévenu coupable d’avoir escorté les véhicules chargés de stupéfiants durant cette période, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de l’article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ qu’il résulte de l’arrêt attaqué que le seul véhicule loué par M. [F] était une Audi A3 impliquée dans le convoi du 20 mars 2018 et que ce véhicule n’avait joué qu’un rôle d’ouvreur ou de suiveur, de sorte qu’en déclarant néanmoins le prévenu coupable d’avoir loué les véhicules chargés de stupéfiants durant cette période, la cour d’appel a méconnu l’article 388 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
28. Pour déclarer M. [F] coupable de complicité de transport, de détention et d’importation illicites de stupéfiants, au titre de la période du 10 mars au 10 juillet 2018, la cour d’appel relève qu’il a participé à des convois de transport de stupéfiants entre l’Espagne et la France. Les juges retiennent que son véhicule personnel a été utilisé comme véhicule ouvreur à l’occasion d’un trajet vers la France, le 13 mars 2018. Ils ajoutent qu’un véhicule utilisé lors d’un convoi, le 20 mars 2018, a été loué au moyen de son permis de conduire et de sa carte vitale, cette location ayant été faite à l’aéroport de [Localité 1], à un moment où il s’y trouvait. Ils indiquent aussi que sa participation aux convois résulte également des investigations pratiquées sur la téléphonie, en particulier sur un téléphone [2] qu’il a utilisé, malgré ses dénégations. Ils énoncent encore qu’il était titulaire des badges de télépéage utilisés lors de tous les convois par le véhicule qui transportait la drogue.
29. En l’état de ces motifs dénués d’insuffisance, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués.
30. Le moyen ne peut donc être admis.
Portée et conséquences de la cassation
31. La cassation de l’arrêt de la chambre de l’instruction du 22 mai 2019, prononcée sur le pourvoi de M. [M], sera limitée au rejet des demandes présentées par ce dernier ; elle aura pour conséquence la cassation de l’arrêt de la chambre correctionnelle en ce qu’il a prononcé à l’encontre de M. [M].
32. M. [M] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel par une ordonnance de renvoi devenue définitive. La juridiction d’instruction est dessaisie. Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer la cause, concernant le seul M. [M], devant la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Dijon pour qu’il soit statué par celle-ci tant sur les moyens de nullité qui avaient été proposés devant la chambre de l’instruction que sur le fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
Sur les pourvois formés par MM. [K] et [Z] :
DIT n’y avoir lieu à statuer sur les pourvois ;
Sur les pourvois formés par MM. [H] et [B] :
CONSTATE la déchéance des pourvois ;
Sur le pourvoi formé par M. [F] :
Le REJETTE ;
Sur les pourvois formés par M. [M] :
CASSE et ANNULE les arrêts susvisés de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Dijon, en date du 22 mai 2019, et de la cour d’appel de Dijon, en date du 16 septembre 2021, mais en leurs seules dispositions concernant ce demandeur, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Dijon, autrement composée, pour qu’il soit statué par celle-ci, à l’égard de ce seul prévenu, tant sur les moyens de nullité qui avaient été proposés devant la chambre de l’instruction que sur le fond ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Dijon, chambre de l’instruction et chambre correctionnelle, et sa mention en marge ou à la suite des arrêts partiellement annulés ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze octobre deux mille vingt-deux.